samedi 3 avril 2010

le 11 mai, 11h: Atelier X: Politiques de traduction et enjeux de pouvoir : perspectives historiques (105, bd Raspail)

(11h-13h)
Atelier X :
Politiques de traduction et enjeux de pouvoir :
perspectives historiques.

(Amphithéâtre au 105, bd Raspail)

Président : Philippe Roussin (EHESS)
Les enjeux de la traduction de l’histoire au dix-neuvième. Trois versions françaises de Chronicle of the Conquest of Granada de Washington Irving. Ronald Jenn. (France. Université Lille III)
Traduction et communication des sciences sociales dans un monde babélisé : Tocqueville et De la démocratie en Amérique. Michaël Oustinoff (France. Université de Paris III)
Traduire les signes en sciences sociales. Sündüz Özturk Kasar (Turquie. Université technique de Yildiz /EHESS)
L’étrange cas de John Ruskin, ou comment les traductions en français ont « oublié » sa pensée politique et sociale. Bénédicte Coste (Angleterre. London City University)

Abstracts /Résumés/ Zusammenfassungen
Les enjeux de la traduction de l’histoire au dix-neuvième. Trois versions françaises de Chronicle of the Conquest of Granada de Washington Irving. Ronald Jenn.
Lors de son séjour en Espagne au sein du corps diplomatique des Etats-Unis d’Amérique (1826-1832), l’écrivain et Homme de Lettres Washington Irving (1783-1859) mena d’importants travaux de recherche et de documentation dans les archives récemment ouvertes qui donnèrent lieu aux publications suivantes : The Life and Voyages of Christopher Columbus (1828), Chronicle of the Conquest of Granada (1829) et Tales of the Alhambra (1832). Toutes furent publiées simultanément en France et aux Etats-Unis mais cette communication portera sur les trois traductions de Chronicle of the Conquest of Granada. Pourquoi ce texte est-il sélectionné et retraduit si fréquemment au dix-neuvième siècle ? Qu’advient-il de l’image positive des Maures et de la compassion pour eux démontrée par Washington Irving et du statut de pseudo-traduction du texte de départ ? De quelles valeurs le texte historique américain est-il investi ? Il s’agit de suivre ce texte historique dans ses mutations successives et de dégager les enjeux de la traduction par des Européens, en l’occurrence des Français, de l’histoire écrite par des Américains et en particulier de ce moment précis et symbolique qui précède la découverte de l’Amérique. Les outils méthodologiques utilisés dans le cadre de ces travaux seront : la stylistique comparée de l’anglais et du français pour les études micro-textuelles, l’histoire du livre pour le profil des maison d’éditions et les stratégies éditoriales, la sociologie de la traduction ainsi que les études post-coloniales appliquées à la traduction.

Traduction et communication des sciences sociales dans un monde babélisé : Tocqueville et De la démocratie en Amérique. Michaël Oustinoff.
Dans un rapport intitulé « Language Matters » (2009), la British Academy s’inquiète de ce que les chercheurs britanniques soient de moins en moins compétents en langues étrangères, ce qui les condamne, à terme, à être « mondialement connus dans un seul pays ». Le tout-à-l’anglais n’est pas une solution, c’est une impasse[1]. L’anglais occupe une place centrale pour longtemps. Mais cette langue, dans l’absolu, n’a pas d’existence concrète. Tocqueville nous le signalait déjà dans De la démocratie en Amérique en intitulant un chapitre « Comment la démocratie américaine a modifié la langue anglaise »[2]: Britanniques et Américains ne sauraient parler la même langue, car ils vivent dans des sociétés différentes. Les traductions anglaises de De la démocratie en Amérique en sont la vivante illustration. La première, effectuée par Henry Reeve et relue par l’auteur, constitue une anglicisation de l’œuvre, alors qu’elle aurait demandé, par définition, une américanisation — en termes politiques, et pas seulement linguistiques. L’historique des traductions de l’œuvre en anglais peut se lire comme autant d’américanisations successives dont la dernière, par Arthur Goldhammer, remonte à 2004. Cette traduction est excellente, mais elle ne saurait supprimer la part d’intraduisibilité radicale au sein des langues anglaises, ni par rapport aux autres langues. C’est pourquoi nous contrasterons également l’original et ses versions anglaises avec d’autres, et notamment celles en portugais, en allemand et en russe en nous inspirant de la démarche adoptée par le Social Science Translation Project[3]. La traductologie considère de plus en plus la traduction non en tant que simple reproduction de l’original mais comme une transformation recréatrice. C’est dans cette optique que l’on se placera, avec toutes les implications que cela représente pour l’interprétation et la réception des textes de sciences humaines au regard de la communication scientifique dans un monde en voie de rebabélisation.
[1] Voir Joanna Nowicki, Michaël Oustinoff (dir.), Traduction et mondialisation. Volume 2, revue Hermès, 49, Paris, CNRS Éditions, 2007 et Nowicki, J. , Juremir Machado da Silva, Oustinoff, M. (dir.), Traduction et mondialisation. Volume 2, revue Hermès, 56, Paris, CNRS Éditions, 2010 (à paraître).
[2] Voir Michaël Oustinoff « De la démocratie en Amérique et l’intraduisibilité de l’anglais », Hermès, 56, 2010 (à paraître).
[3] Voir Michael Henry Heim et Andrzej W. Tymowski, Guidelines for the Translation of Social Sciences, American Council of Learned Societies, 2006.
En ligne sur : <
www.acls.org/uploadedFiles/Publications/Programs/sstp_guidelines.pdf>.
Disponible également en arabe, en chinois, en espagnol, en français, en japonais, en russe et en vietnamien.

Traduire les signes en sciences sociales. Sündüz Özturk Kasar.
“La langue est formée des signes” nous a appris la linguistique moderne. Le discours actualise ces signes qui vivent virtuellement dans le cerveau des locuteurs faisant partie de la mémoire d’une communauté linguistique. Le traducteur traduit alors ces signes actualisés par un discours d’origine, autrement dit ramenés par un sujet producteur à un moment de l’instance précis et dans des circonstances précises. Le traducteur qui prend en main ce discours initial est, à son tour, sujet de son propre discours (de nature secondaire); il le reproduit à un autre moment de l’instance et dans d’autres conditions. Alors superposition des sujets producteurs, des moments d’énonciation et des coordonnées discursives; ainsi définie, la traduction apparaît comme un hyperdiscours, c’est- à -dire dire qu’elle se construit sur un autre discours. Lorsqu’il s’agit des textes de sciences sociales, cet hyperdiscours s’avère, de surcroît, métalinguistique puisqu’il réactualise le langage d’un domaine de connaissances traité dans l’original. Maintes difficultés qui rendent la traduction théorique tâche difficile. Les débats poursuivis depuis des siècles autour de la question de savoir si l’on traduit le sens ou la forme sont en fait vaines puisque le signe linguistique est une unité indissociable formée d’un signifiant (image acoustique) et d’un signifié (concept). Donc on ne peut transmettre les concepts sans traduire convenablement leur appellation ni traduire les termes sans en rendre le contenu. Ce principe initial est fondateur pour une sémiotique de la traduction. Et si un signe quelconque n’existe pas dans la langue d’accueil? Former un terme pour construire un concept, voilà une épreuve cuisante qui attend le traducteur théorique. Pourrait-il proposer une traduction “relevante” comme le dit Jacques Derrida? Je voudrais traiter de ce sujet en essayant de l’illustrer par des exemples que je tirerai de mes propres expériences, à savoir mes traductions turques de Maurice Blanchot, de Roland Barthes et de Paul Ricœur ou des projets de recherche que j’ai menés à bien dans le cadre de mes cours de doctorat intitulés “Traduction théorique en sciences sociales” et “Sémiotique de la traduction” que j’assure à l’Ecole doctorale de l’Université technique de Yildiz à Istanbul.

L’étrange cas de John Ruskin, ou comment les traductions en français ont «oublié» sa pensée politique et sociale. Bénédicte Coste.
Cette proposition d’intervention est consacrée à la traduction en français des textes sociaux et politiques de John Ruskin (1819-1900), ou plus précisément au très petit nombre de traductions parues depuis la fin du XIXe siècle. Ruskin n’est pas uniquement un critique d’art influent de la seconde moitié du XIXe siècle, il a également rédigé de nombreux textes consacrés à l’économie politique. Alors que son autobiographie (Praeterita) et les textes consacrés à la critique d’art ont été partiellement traduits au début du XXe siècle, les textes constituant Munera Pulveris ou certaines lettres de Fors Clavigera demeurent inconnus du lectorat francophone. A l’exception de Sesame and Lilies, et d’Unto This Last[1] les textes traitant de politique et de sciences sociales n’ont pas été traduits. Toutefois, l’intérêt pour Ruskin a persisté tout au long du XXe siècle. C’est dans la perspective de traductions partielles et d’articles présentant sa pensée sociale que nous souhaiterions interroger la réception française de J. Ruskin. L’ouvrage de R. de La Sizeranne, John Ruskin et la religion de la beauté, les traductions de M. Proust (Sésame et les lys ; La Bible d’Amiens), de M. Crémieux (Les Pierres de Venise) nous ont légué la figure d’un critique d’art au détriment de la pensée politique de J. Ruskin. Les traductions éparses et parcellaires de ses textes politiques ne semblent pas avoir suscité de projet de plus vaste ampleur, alors que l’apport de Ruskin aux sciences et aux pratiques sociales existe. C’est cette a généalogie que nous souhaitons retracer. Nous présenterons les textes traduits et examinerons leur traduction, ainsi que les articles ou les ouvrages en français consacrés à la pensée de Ruskin, afin d’analyser les raisons de ce qu’il faut bien qualifier de refoulement.
[1] ″Unto this last″, quatre essais sur les premiers principes d'économie politique, par John Ruskin, traduction de l’abbé Peltier. Introduction de H.-J. Brunhes, 1902.

BIOS:
Ronald Jenn est Maître de Conférences à l’Université Charles de Gaulle Lille-3 où il enseigne la traduction et la traductologie. Ses recherches portent sur l’influence de l’idéologie sur les traductions depuis la fin du dix-huitième jusqu’à nos jours. Il s’intéresse également aux échanges entre la France et les Etats-Unis via la traduction. Il est aussi traducteur des nouvelles de Nathaniel Hawthorne inédites en français, traduites en collaboration, doivent paraître en 2010. Membre du CECILLE.

Sündüz Ozturk Kasar, Maître de Conférences habilité, docteur de l’EHESS (Paris), chef adjoint du Département de Traduction et d’Interprétation de Français de l’Université technique de Yildiz (Istanbul), travaille essentiellement dans les domaines de la linguistique, de la sémiotique et de la traductologie. Elle a publié plusieurs livres et articles dans différents pays en même temps qu’elle a traduit en turc des livres de Maurice Blanchot, de Roland Barthes et de Paul Ricœur.

Michaël Oustinoff est maître de conférences HDR à l’Institut du Monde Anglophone de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, membre du TRACT (Paris 3) et de la Rédaction en chef de la revue Hermès, CNRS Editions, dont il a notamment supervisé le numéro 51, L’Epreuve de la diversité culturelle et les numéros 49 et 56 de Traduction et mondialisation, dont le deuxième volume est à paraître en 2010. Il est également l’auteur de Bilinguisme d’écriture et auto-traduction : Julien Green, Samuel Beckett, Vladimir Nabokov (Paris, L’Harmattan, 2001) et de La traduction (Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 3e édition 2009).

Bénédicte Coste est victorianiste, membre d’EMMA (Etudes montpelliéraines du monde anglophone, EA 741) et enseigne la traduction à City University (Londres). Traductrice de Walter Pater, elle traduit actuellement The Seven Lamps of Architecture, ce qui l’a conduite à s’intéresser à la réception française de Ruskin.

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